Y-a-t-il eu scandale pour Olympia ?

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Retour à l'accueil sur l'histoire de l'art impertinente / Manet : Ces fameux Salons / Déjeuner sur l'herbe, la maladresse grivoise. / Y-a-t-il eu scandale pour Olympia? / Analyse sous un point de vue picturale : Le corrigé de l'Olympia de Manet.(6) / le Christ mort aux anges de Manet.(5) / L'opinion de Monet, Cézanne, Courbet,... sur Manet Surprenant ! / Zola CONTRE Manet, Monet et les impressionnistes Une lucidité tardive / Manipulations sur Le combat du "Kearsarge" et de "l'Alabama" (5) / Mon opinion sur sa production

Y-a-t-il eu scandale pour Olympia ?

Tous les auteurs actuels parlent de scandale pour cette peinture et qu'il a fallu placer des gardiens pour pas que le tableau fut détérioré. Quand on regarde les écrits des critiques, aucun n'emploient ce mot ou de quelques choses de voisin ( indécent, inconvenant, déplacé, choquant, indigne, impudique, obscène, licencieux, honteux) ou ne relate des actes répréhensibles, ce qui auraient été un argument contre ce tableau. A-P Martial écrit dans le Constitutionnel le 16 mai 1865 "il arrive à provoquer les rires quasi scandaleux qui attroupent les visiteurs au Salon devant cette créature cocasse... " C'est donc les rires qui sont " quasi scandaleux" et pas le tableau ! Les critiques parlent de cocotte, de courtisane, odalisque au ventre jaune ce qui est un peu faible pour avoir un scandale.

Les auteurs modernes ne donnent aucun article de journaux de l'époque titrant "Scandale au Salon..." J'attends donc d'avoir un article allant dans ce sens pour pouvoir affirmer qu'il y a eu scandale. L'hypothèse d'une grosse bidonade est la plus plausible pour l'instant. Après tout, ce n'est que de la peinture. Rappelons des faits un peu plus sérieux : la crise de subsistances, la dernière de cette ampleur dès l'été 1846 qui provoquera des émeutes de la faim ; 1870-1871 la guerre avec la prusse et le massacre de 20 000 parisiens lors de la commune. Qui pèse plus lourd ?

Zola relate le fait qu'un amateur exaspéré alla jusqu'à menacer de se porter à des voies de faits si on laissait plus longtemps dans la salle La musique aux Tuileries. Si ce fait est exact, ceci ne concerne donc pas Olympia. D'autre part, il faut corroborer les affirmations de Zola avec d'autres sources car celui-ci est partie prenante.

Dans les articles de l'Evénement de 1866 édités dans les "Ecrits sur l'art", Zola parle de Manet mais ne parle d'aucun scandale mais uniquement que de rires et de public amusé, ceci un an après les prétendus faits ! Il cite seulement Courbet qui a scandalisé. Il lui faudra encore une année pour qu'il puisse parler du "scandale" !

Il lui a donc fallu 2 ans pour s'apercevoir qu'il y avait eu un scandale pour l'Olympia de Manet de 1865 ... C'est vrai qu'un scandale est plus porteur qu'un moquerie générale.

Ainsi, en ce qui concerne le long article de 1867 sur Manet dans les"Ecrits sur l'art", Zola décrit dans un premier temps les rires du public et puis dans une autre partie essaye d'interpréter : les rires sont donc les faits et ce n'est que dans l'interprétation que Zola parle de colère, d'irritation, de peur, d'épouvante, d'effroi,.. en parlant pour le public "Ce qui le choque et l'irrite, ...". Zola y va fort. Parler de scandale est une exagération littéraire sans lien avec la réalité, du même type que la "bataille" d'Hernani de 1830 sans morts ni blessés ou que la sardine qui a bouché le port de Marseille...

Dans le même registre et au sujet d'un simple attroupement de personnes admirant un tableau que tout le monde veut voir, Zola parlera d'émeute dans son livre "l'Oeuvre" et dans une critique : l'exagération est ici maladroite par rapport au contexte historique et social de l'époque.

Notons la remarque du critique Arsène Alexandre, profitant d'un article dans Le Figaro commentant l'exposition de Cézanne en 1895 et au titre de "Claude Lantier", déclare "Zola exagère les types et dénature à plaisir les faits".

D'autre part, le tableau a beau être un nu, il est tout à fait pudique (le pubis est caché, pas d'esquisse des tétons) même avec la moralité supposée du XIXème siècle (la maladie sexuellement transmissible la syphilis faisaient des ravages avec l'alcoolisme et la tuberculose ; les études sur les français actuels montrent un comportement sexuel bien sage). On ne peut pas dire la même chose pour le tableau La Vénus d'Urbin du Titien 1538 (119x165) accessible à l'époque car Manet en a fait une copie... Mais que fait-elle avec sa main gauche ? !!!

Titien, la vénus d'Urbino (1538)

Les concurrents de Manet au style académique savaient faire des tableaux largement plus érotiques...


Jules Lefebvre, Femme couchée,1868, huile sur toile

Le public et les critiques étaient-ils des personnes incapables d'entrer dans la modernité, des passéistes, des rétrogrades, etc... ?

Si c'est vrai il y a un problème de cohérence. En effet, au salon de 1865, Monet, bien placé, reçoit des compliments pour ses deux paysages (au moins un des tableaux est inspiré par Boudin et Jongkind). "Monet a eu un succès beaucoup plus grand qu'il n'espérait. Plusieurs peintres de beaucoup de talent qu'il ne connaît pas lui ont écrit des lettres de compliments" note Bazille. Les réactions des critiques Zacharie Astruc sous la plume de Pigalle et Paul Mantz, critique très écouté et plutôt attaché aux traditions, sont enthousiastes ! Et Monet n'a que 25 ans !

L'embouchure de la Seine à Honfleur, 1865, Claude Monet.

Le critique Paul Mantz écrira ".. une maniere hardie de voir les choses et de s'imposer à l'attention du spectateur."

Ainsi, devant ces réactions, on peut affirmer que le public et les critiques étaient tout à fait progressistes et ouvert à la modernité de Monet ! Ces tableaux présentent déjà un début de touche impressionniste dans les rochers et des contrastes forts à la Manet... Il y a un bug avec Manet !

La pointe de la Hève, 1865, Claude Monet.

Manet aurait pris ombrage de son succès :"Qu'est-ce que ce polisson (Manet a 8 ans de plus et a été recommandé par Baudelaire au critique Théophile Gautier...P 312) qui pastiche si indignement ma peinture ?" se serait-il écrié devant une toile de son jeune rival. (P 313, P 419, Impressionnisme. Les origines)

Ces faits ne collent pas avec la vision dominante de l'art qui aime bien taper sur le public qui n'a pas les moyens médiatique de répondre. En plus, celui-ci est mort. Il est donc d'autant plus facile de réécrire les faits et de se raconter une histoire plus avantageuse et aussi plus facile à vendre. C'est une pratique très courante dans l'histoire des peuples.

Rendons un petit hommage au modèle d'Olympia : Victorine Meurent car son image a été traitée de tous les noms à cause de Manet !!! Cocotte, odalisque au ventre jaune, courtisane,...

C'est dans la rue que Manet rencontra Victorine Meurent qui devait devenir le modèle d'Olympia, puis du déjeuner sur l'herbe et du Fifre. Victorine devint peintre, elle-même ; puis revint poser, en 1873, pour le Chemin de Fer. On sait qu'elle mourut misérablement.

 

Bibliographie

Journal de l'impressionnisme , Maria et Godfrey Blunden, traduit de l'anglais, Editions d'Art Albert Skira S.A. Genève, 1973

Manet de Georges Bataille, Editions d'Art Albert Skira S.A. Genève, 1983

cd-rom de la réunion des Musées nationaux, Musée d'Orsay, Montparnasse multimédia

Impressionnisme. Les origines, 1859-1869, Réunion des Musées Nationaux, 1994

 

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